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Introduction au concept de valeurs humaines universelles

Par Dr. Ahmerd El Farrak, Professeur de philosophie à l’Université Abdelmalek Assaadi / Tétouan - Maroc.

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Introduction

Le principe de valeurs humaines universelles est fondamentalement inspiré des éléments unissant tous les êtres humains du globe terrestre, tout en respectant les grands points communs susceptibles de rassembler les cultures des peuples et leurs intérêts actuels et avenirs. En effet, L’Homme, mâle ou femelle, est issu de la même origine, d’un unique père et d’une unique mère. C’est ainsi que les humains se sont multipliés en toute synergie et des peuples, des communautés et des nations ont ensuite été créés afin qu’ils s’entreconnaissent, tout d’abord en commençant pas connaître l’autre sexe puis vient la connaissance mutuelle de divers peuples.
Ce principe de valeurs humaines universelles exige que soit mise ne exergue un véritable réexamen de l’idéologie du choc, du conflit et de l’antagonisme entre les composantes du genre humain de nos jours, en perspective de faire renaître et revivifier les valeurs nobles au tréfonds des êtres humains tel l’amour, l’empathie, la bonté, la compassion, l’indulgence, la bienveillance et le bel-agir, qui représentent la cheville ouvrière de la « nature humaine commune entre les individus quel que soient leurs personnalités »(2) . Par ailleurs, ce noble principe doit être exploité en vu de bâtir l’édifice de l’ordre humanitaire (العمران الأخوي الإنساني ) qui abrite les nobles vertus cohabitant au fond de nous même entant qu’humain que nous sommes. Cette fameuse idée du commun se trouve soutenue par de nombreuses pensées et attitudes modernes et contemporaines constatées dans les ouvrages de philosophie politique, éthique, religieuse et réglementaire, pour être à même de converger vers le règne de l’esprit du commun humanitaire, et ce en exploitant les grands fondements religieux, éthiques, scientifiques, urbanistiques et écologiques, érigeant l’armature des points concordants entre tout le monde.


Mais qu’en est-il de ce Commun humanitaire et quelles valeurs universelles abrite-t-il ?


Premièrement : De la notion du « Commun Humanitaire»

Le Commun Humanitaire est l’ensemble des grands points communs que partagent les gens entre eux, avant tout en tant qu’êtres adamiques et abstraction faite de la diversité de leurs cadres de référence religieux, culturels, géographiques, ethniques ou autres. Les gens sont en effet copropriétaire des dispositions adamiques et terriennes, ainsi que de l’innéité, la vie, l’environnement, l’intérêt et la destinée. D’ailleurs tous les gens disposent de ces universaux et de ces dons, à commencer par leur appartenance à la communauté commune des humains, avant les faits démarcatifs occasionnés par la diversité de cultures entre les nations et peuples. De toute évidence, la mise au point du Commun Humanitaire enrichit la pensée humaine, et la dote d’un socle philosophique et théorique pour se frayer le chemin vers la réconciliation et l’intégrité entre les êtres humains, au lieu de s’engager dans des conflits déclenchés par des désordres historiques qui détournent l’Homme d’entreprendre savamment sa cause et son avenir en se couvrant de certaines catégories diabolisant l’autre et l’accusant de prime à bord de complot et d’infidélité, surtout que le monde d’aujourd’hui est devenu sous forme d’un réseau interconnecté de relations mutuelles, qui pourrait être mis en péril par de sérieuses scissions idéologiques et de guerres mondiales destructrices.

À un autre niveau, l’adoption de l’esprit du Commun Humanitaire est à même de promouvoir la culture de reconnaissance de la différence et de la mettre en vigueur au sein de la communauté afin que l’Homme vive en dignité en tout point de la Terre du Dieu, tout en s’appropriant ses valeurs humaines qui sont inébranlables par le différend de quelque nature qu’il soit, que ce soit de culture, de croyance, de langue ou de choix culturels particuliers ; voire la diversité culturelle invite à l’exploration des cultures d’altérité pour en dégager les éléments d’union, de concordance et de compréhension mutuelle, et les opportunités de coopération, de complémentarité et de concurrence. D’où la nécessité d’ouverture sur d’autres systèmes de référence, du respect de leurs spécificités, et de la visée des valeurs communes partagées avec eux sans aucune arrogance ni intention de suprématie et de dominance.

Malheureusement de longs épisodes de souffrance nous séparent de l’établissement d’une civilisation humanitaire de l’Homme honoré par son adamicité. Cette souffrance est liée d’emblée au passage en revue de l’auto-conscience déformée par les représentations et les interprétations patrimoniales, idéologiques et philosophiques contractées, dues à une grande incompréhension en matière d’interprétation des textes religieux, historiques fondateurs, et de leurs commentaires. Sachant que le Commun n’impose point aux antagonistes de renier ces fondements de référence pris comme point de départ autant qu’il réclame le renouveau de l’angle d’attaque vis-à-vis des ces fondements en adoptant justement une méthodologie qui puisse assimiler l’autre et non pas l’exclure, accepter sa présence et non le nier.


À présent essayons de découvrir les universaux et les fondements communs qui ne sont absolument pas en désaccord avec l’esprit de la religion commune et les savoirs fondamentaux de l’humanité, « étant donné que ce qui est commun humanitaire a trait à l’aspect humaniste général qui n’affecte pas une civilisation bien précise, ni un nationalisme donné, ni les adeptes d’une religion sans ceux d’une autre.. Dés lors, ce commun est en quelque sorte comme l’eau et l’air, besoin fondamental de tout être vivant, et élément décisif du processus de renaissance chez tous les êtres humains »(3). C’est ce que nous proposons en guise d’introduction pour revoir fondamentalement la nature de la relation entre les adeptes des doctrines dans ce monde et les autres, et réévaluer les lectures proposées à ce sujet.

Deuxièmement : Fondements éthiques communs et valeurs du vivre-ensemble humain


Le monde a besoin actuellement, plus que jamais, d’une pensée qui puisse le retirer des ténèbres de la haine, de l’égarement et de la perte, l’introduire dans le halo des valeurs d’amitié, du droit-chemin et d’intercompréhension, ratifier toutes les valeurs éthiques communément admises et héritées par les hommes charitables des nations précédentes, compléter et consolider ces valeurs par le biais des moyens d’éducation, d’enseignement et d’information. Ce sont en fait des valeurs universelles englobant tous les actes humains, que ce soit ceux individuels, ou ceux liés au rapport de l’individu ou la communauté avec l’Autre, ou avec l’environnement, la nature et l’urbanisme. En même temps, c’est de ces valeurs ultimes qu’émanent les actes de l’Homme, qualifiés d’éthiques de crédibilité, de fidélité, de fraternité, de miséricorde, de justice, de paix et de coopération ; lesquelles sont des valeurs morales communes et éternelles, en parfaite cohérence avec les saines innéités, avec les éternels testaments et le raisons bien guidées. « Il y a une conviction, dit Hans Küng, à l’égard de l’unité fondamentale de la famille humaine, de l’égalité et de la valeur de toute l’humanité. Il y a une sensation de la non atteinte à l’individu et à sa conscience. Il y a une sensation de la valeur de la société humaine. Il y a une assertion stipulant que la suprématie ne s’accorde pas avec la droiture, que la suprématie humaine est auto-insuffisante, n’est point absolue. La foi, l’amour, la clémence, la fierté, la puissance spirituelle, la sincérité sont, en fin de compte, toutes des valeurs plus puissantes que la haine, la rancune, l’égoïsme. Il y a une affection stipulant que c’est de notre devoir d’être à côté des pauvres et des victimes de l’injustice, et contre les fortunés et les injustes. Il existe un profond espoir que la volonté bienveillante prendra la relève en fin de compte. »(4) C’est justement cette volonté pleine de bonté qui est la clef de tout bien affectant toute l’humanité.

1- Valorisation de la justice et rejet de l’injustice


Autrefois Aristote disait : « Toutes les vertus résident au sein de la justice… le plus privilégié des types de justice est celui issu de l’affection et de l’amour », et tout comportement corruptif – tels que l’injustice, l’agression, le sacrilège, le massacre, la destruction des maisons, le pillage des biens et des terres, le fait de semer la terreur au sein des foules en paix – est sans argument même s’il tente d’en tirer un au nom de la religion. Un tel comportement est fortement dénoncé par tous les sains d’esprit, et doit être par là banni et tout le monde doit en faire face, du fait que ce comportement soit élément destructeur des toutes les valeurs religieuses et humaines. En outre, la religion a pour tâche notamment de prohiber un tel acte illicite, et d’inciter les gens à l’éviter.


2- Valorisation de la liberté et rejet de l’esclavage


L’Homme ne peut vivre pleinement son humanité que si son existence justifie son être , car normalement un adamique possède la liberté du choix et c’est de cette liberté que naisse sa responsabilité envers ses actes. En effet, tout acte entrepris par un individu suite à un choix conscient est un acte humanitaire, et tout acte humanitaire est en fait un acte consciemment choisi. J’entends par le terme « choix » : la volonté fondé sur une perspective »(5). Toutefois, la liberté de l’Homme, comme le précise Averroès, est fonction de la nécessité de la cohérence entre ses compétences et ses potentialités intrinsèques (corps et esprit (ou âme)) d’une part, et les motifs et lois externes « que Dieu a extrinsèquement assujettis au service de cet Homme d’autre part ». En d’autres termes, il s’agit du système de l’univers décrété et guidé par Allah. Ce sont donc des potentialités et des motifs qu’on ne peut absolument pas nier ou sous-estimer. Autrement dit, la liberté de l’Homme est intimement liée à sa volonté et sa responsabilité d’une part, et conditionnée par divers déterminismes corporels et cosmiques qui déterminent son existence d’autre part. à cet égard, Averroès affirme : « Les actes que nous

nous attribuons sont mis en œuvre selon notre propre volonté ; mais ils sont en accord avec les actes qui nous sont externes »(6). On en tire que la liberté de l’Homme n’est ni absolue, ni libertine, comme la concevait certaines philosophies, telle l’existentialisme par exemple. Mais en même temps, elle n’est pas complètement annulée, comme la concevait d’autres perspectives, telle par exemple le point de vue de Baruch Spinoza (mort en 1677). En résultante, c’est un choix, une adaptation et une responsabilité ; un choix des actes adaptés aux motifs et dont les impacts sont pleinement assumés par l’acteur. Néanmoins, si les points communs entre la progéniture d’Adam (les individus adamiques) n’étaient pas pris en compte, l’invocation de la liberté serait une catastrophe(7).


3- Valorisation de la paix et rejet de la violence

Il va de soi que la violence écarte la culture de dialogue, de voisinage, d’entre-connaissance, de paix, c’est pourquoi la règle de la paix, en vertu de laquelle tout le monde s’intègre dans un contrat de paix collective, est requise lors de l’édification du Commun Humanitaire. L’engagement dans un tel contrat est à même d’affranchir des esclaves et de préserver des victimes. Ainsi, les individus cohabitent au sein d’une société humanitaire, en pleine fraternité, miséricorde, dans laquelle les gens s’enjoignent mutuellement l’endurance, s’enjoignent mutuellement la miséricorde, s’entraident dans la bonté et la piété ; tout en installant les règles de la paix, de la sécurité et l’enthousiasme, et en repoussant toute sorte de mal, d’injustice, de corruption, d’hostilité, de dominance et de suprématie. L’accès à la paix est une forteresse et lieu de sécurité qui nous mettent à l’abri des guerres destructives comme dénommées par Kant, du conflit absurde qui a causé de grands dégâts au sein de notre monde, et qui menace de nos jours notre avenir dont l’espace est souillé de nuages macabres de la violence aveugle, à lui adjoindre la technologie moderne qui lui donne un coup de main pour être plus apte à plus de pouvoir destructeur. La paix c’est par ailleurs l’espace où cohabitent tous les éléments du genre humain ; c’est-à-dire la « totalité » vit au sein d’un environnement politico-social cohérent et en pleine sécurité, loin de toute forme de violence et de conflit.


4- Reconnaissance de l’altérité et la fraternité humaine

Les gens sont des associés en matière d’univers, de vie et de destinée. Ils sont libres tout d’abord parce qu’ils appartiennent à l’humanité commune, avant même que les cultures distinguent entre nations et peuples. C’est ainsi que cette vision positive à l’autre exige que l’on soit reconnaissant à leur bienfaisance, que l’on respecte leur choix, que l’on leur propose notre modèle qui assimile leur bienfaisance et contribue au traitement de leurs problèmes. Je veux dire le modèle qui est d’actualité et non pas celui qu’on entend relater par nos ancêtres, ou celui gardé en guise d’utopie irréalisable. Ne reproche pas aux gens le fait qu’ils ne t’écoutent pas autant que tu dois te reprocher pourquoi n’as-tu pas pris le soin de leur faire entendre ta proposition et de préciser son domaine scientifique ? L’autre est ton frère au point de vue d’adamicité, de mission et de la Terre. Il attend certainement de toi de la véracité de propos, de la persuasion de discours, de l’exemplarité de performance ; ce n’est qu’en ce moment qu’il adhérera à la sphère de la fraternité humaine qui est fondatrice des piliers du Commun Humanitaire. Connaître l’autre « c’est inviter toute nation, toute civilisation à s’entre-connaître avec d’autres nations et civilisations, sans aucune intention d’établir la dominance et l’hégémonie, ou l’exclusion et la destruction. C’est l’entre-connaissance qui permet à l’autre de vivre son existence, et non pas son exclusion, et c’est elle qui établit les rapports, le partenariat et l’intercommunication avec cet autre, et non pas procède à la rupture, à l’interdiction ou à la résistance à cet autre »(8).

L’altérité c’est l’Autre, c’est l’Homme lui-même, c’est l’humanité dont les individus ont en commun la création, la Terre, l’intérêt et la destinée. Par conséquent, nul égo sans l’Autre, « Je n’existe point, dit Paul Ricoeur, sans que l’Autre existe, je n’existe certainement qu’avec lui »(9). Par ailleurs, Serge Latouche propose : « Comme il n’y a aucun espoir de fonder quoi que ce soit de durable sur l’escroquerie d’une pseudo-universalité imposée par la violence et perpétuée par la négation de l’Autre, le pari qu’il y a un espace commun de coexistence fraternelle à découvrir et à construire vaut la peine d’être fait.»(10)


Pour conclure

Le fait de rappeler l’existence commune, les valeurs communes, les intérêts communs, le destin commun, est à même d’avertir la conscience humaine et de la mettre en alerte afin qu’elle passe en revue sa cruauté, son intransigeance, ses habitudes d’arrogance, son indifférence, son exclusion, afin qu’elle procède au renouvellement de la conviction en vertu de laquelle il est possible d’établir une nouvelle civilisation dans laquelle l’hostilité qui a stigmatisée l’histoire de nos ancêtres, est réduite à son degré minimum, et au sein de laquelle les efforts sont déployés en vue de bâtir une citoyenneté universelle en cheminement vers la perfection humaine possible, une citoyenneté qui dépasse les limites du modèle Kantien pour se donner sur un horizon encore plus vaste, dans lequel la dignité et la liberté humaines sont par dessus tout. Pour cette cause, nombreuses sont les initiatives qui appellent aujourd’hui à la réconciliation entre l’Homme-idée et l’Homme-essence, et à prendre revanche à l’humanité dans sa globalité, et promouvoir tout ce qui est humain dans l’Homme.
Reste le grand défi pour tout le monde : garantir une réponse favorable à ce noble appel. Comment vivons-nous sincèrement et vraiment notre humanité ? Comment opérons-nous le transfert de la prétention que nous voulons sincèrement une saine humanité alors qu’en vérité nous pratiquons une humanité falsifiée ?
L’humanité à double standard est l’humanisme irréel(11) mis à nu par les événements et les impartialités ethniques, religieuses et régionales chaque fois que la vérité s’éclate en plein jour. Cet humanisme dénudé(12) ne construit guère une civilisation, ne présente point une alternative à laquelle aspirent les individus de l’humanité damnée sur terre, ne garantit même pas le bien-vivre. C’est toujours le même humanisme dénudé, bien chargé d’idéologie de « possession » et de l’« orgueil nationaliste »(13) tout en fermant les yeux sur les violations flagrantes des droits de l’Autre.

Ahmed El-Farrak, Paris le 12 mars 2023.

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[2] Avicenne, Abu Ali, la logique des Hommes de l’Orient, Dar Al-Hadatha, Beyrouth, 1ère Édition, 1982, p.40.

[3] Mohammed Amara, la conquête intellectuelle, illusion ou vérité ?, Imprimerie Rose Al-Youssef, 1ère Edition, 1988, Égypte, p.15.

[4] Hans Küng, Un projet éthique mondial, rôle des religions dans la paix mondiale, traduction de Josef Maalouf et Urssula Assaf, Dar Sadir, Beyrouth, 1ère Edition, 1998, pp.117-118.

[5] Avempace (Ibn Baja), Tadbir al-Moutawahid, parmi les Épîtres divines d’Ibn Baja, Beyrouth, 1ère Edition 1968, p.46.

[6] Avérroès, Mohammed Abu Al-Walid, « Al-Kachf an manahij Al-Adilla fi aqaid al-Milla » Centre des Etudes de l’Unité Arabe, 2ème Edition, Beyrouth, 2001, pp.188, 189.

[7] Habert Marcuse, l’Homme unidimensionnel, traduit en arabe par George Tarabichi, Éditions Dar Al-Adaab, Beyrouth, 3ème Edition, 1988, p.237.

[8] Al-Milad Zaki, Question de civilisation : comment découvrir son avenir dans un monde en plein changement?, Centre Culturel Arabe, Casablanca, 1ère Edition, 1999, p.36 .

[9] Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, traduit en arabe et actualisé par Gorge Zinati, 1ère Edition, 2005.

[10] Serge Latouche ، L’occidentalisation du monde, traduit en arabe par Khalil Kulfat, Casabalanca, An-Najah al-Jadida, 2ème Edition, 1999, p. 831